Souvent les enfants enfilaient sur un gros fil de plastique des perles en bois de toutes les couleurs. Ils étaient très fiers des colliers obtenus.

Ils étaient quatre frères et sœurs de onze à quatre ans, deux filles et deux garçons. Les garçons jouaient régulièrement avec leur train électrique mais raffolaient aussi de se lancer dans des activités classées « filles » dans les catalogues du Père Noël.

Assis sur le plancher de leur chambre commune – ils dormaient dans des lits superposés, je ne vous dis pas le joyeux chambard chaque soir – ils piochaient dans le sac rempli de perles pour créer leurs œuvres en bois.

– Moi, j’ai déjà fini le mien, clamait le grand frère en exhibant son collier.

– Moi, presque, murmurait l’aînée des filles.

– T’as vu le mien ? C’est le plus beau, annonçait, avec une modestie toute personnelle, le frère cadet.

Quant à la petite sœur, elle avait beau tenir le fil d’une main, une perle de l’autre et se concentrer sur son geste, le « ploc ! » de la défaite se faisait entendre sur le sol, à chaque essai. Elle pestait puis réessayait encore et encore. Elle en rêvait la nuit et se retrouvait chaque matin face au même problème et au ridicule qui va de pair. Ses frères et sa sœur trouvaient très amusant de lui dire :

– Tu crois que tu y arriveras un jour ?

– Mais qu’est-ce que t’es nulle !

– Grosse nouille !

Les parents s’inquiétaient. Leur fille avait la bouche pincée. Elle perdait du poids. On lui fit faire de la relaxation :

– Respire en gonflant ton ventre !

Elle gonflait le ventre pour enfiler les perles et finalement, c’étaient les perles qui la gonflaient.

Un jour particulièrement pénible où elle avait dégringolé d’au moins dix marches dans l’estime d’elle-même, elle se jura en reniflant qu’elle ne toucherait jamais plus une seule perle. Le soir, dans son lit, elle suça son pouce le plus silencieusement possible pour éviter toute réaction des trois autres et finit par trouver le sommeil. Elle rêva de billes, de boules, de balles, d’un monde où même la pluie en tombant faisait le sinistre « ploc ! » des perles échappées arrivant sur le sol.

Le matin, impossible de se lever. Elle entendit ses frères et sa grande sœur rire dans la cuisine, sentit l’odeur du pain grillé, finit par s’arracher à sa couette et voulut se mettre debout. Elle se retrouva assise à terre. Son pied avait glissé sur une de ces satanées maudites perles. Elle se pencha pour la ramasser et vit une extraordinaire perle nacrée, bien plus petite que les perles en bois. La perle fine était enfilée sur un fil. Comment était-elle arrivée là ? La fillette avait bien entendu des histoires de fées mais elle ne pouvait croire qu’une fée ait pu s’intéresser à elle. Et pourtant cette perle, belle comme un sourire, était bien là devant elle.

Alors la petite plongea la main dans le sac de perles en bois, en saisit une au hasard et l’enfila du premier coup. Et ainsi pour une deuxième, une troisième. C’était facile comme tout. Elle riait.

Quand sa maman cria : « Et alors ? Tu vas être en retard ! », l’enfant entra dans la cuisine, annoncée par des trompettes imaginaires. Elle marchait lentement vers sa tartine à la confiture, un collier de perles fines autour du cou.